Adieu à Julie et Bruno...


La fin du mois de mars a été difficile. Très difficile. Les dernières belles courbes à ski se sont mêlées aux premiers serrages d'arquées sur le caillou reprenant enfin couleur et chaleur. Le printemps s'annonçait sous de beaux auspices quand la faucheuse s'est décidée à oeuvrer à nouveau, frappant deux êtres chers et... flamboyants ! 

J'ai rendu hommage à Julie Pomagalski et Bruno Putelli sur les réseaux sociaux, à chaud, heurté de plein fouet par la brutalité et la soudaineté de leur départ. 

Julie, championne du monde de snow à la fin du siècle dernier mais surtout championne du monde du sourire depuis toujours, était une personnalité des plus attachantes. Ses petites attentions envers mes enfants notamment resteront gravées dans ma mémoire. 

Bruno, éternelle vedette, qui plante mes clients dimanche soir pour le lundi afin d'aller rider à Andermatt avec des potes, était dans la droite tradition de sa marque de fabrique, jusqu'au bout. Mais quel con :) Il en sera quitte pour me payer une bonne bière à son retour... Une journée plus tard ils voyaient leurs ailes coupées par ce que tout rider redoute plus que tout: la grosse avalanche. 

Je ne vais pas revenir sur les circonstances, pas encore totalement établies, ni sur les hommages déjà publiés par mes soins. Je rentre de deux enterrements très beaux, très dignes, enrichis de témoignages poignants, émouvants, parfois déchirants, que j'ai traversés entouré de mes amis et collègues du Bureau de Méribel. La tristesse est moins lourde à porter quand elle est partagée par ceux qui comprennent et qui vivent les mêmes émotions, les mêmes craintes aussi. 

Les années ski de pente raide, les années un peu folles, l'escalade, la vingtaine, les années BASE jump... en se retournant sur un quart de siècle de pratique dite "à risque",  on se rend compte qu'on en a vu disparaître un paquet des copains en montagne... Ce qui a changé ces dernières années, c'est pour moi la parentalité. Des enfants qui pleurent un Papa trop tôt arraché à la vie, rien n'est plus dur. Et en ayant désormais des petits, on se projette forcément. Ca fait pas envie. 

C'est la première fois que je pleure à un enterrement depuis presque 15 ans, depuis ma grand mère il me semble. Les cartons des copains quand j'avais 25-30 ans me rendaient très tristes mais m'atteignaient finalement moins. Il y avait une espèce de routine, de fatalité, ça nous "glissait" presque dessus. En vieillissant, on se rend compte que la vie est précieuse et qu'elle file. Et qu'on a des choses à perdre, et des responsabilités. Le temps de l'innocence et de l'invulnérabilité est passé pour moi. J'essaye de gérer le risque en pro dans tout ce que je fais qui comporte du danger (montagne, moto). 

Ce n'est pas une garantie mais c'est un comportement analytique, froid, et calculateur qui me préserve, enfin je le crois. Les activités à forte composante adrénaline, le plaisir de flirter avec la limite, cela fait partie de mon ADN, ça ne changera pas. Mais quand même, comme on le remarquait hier lors de ces cérémonies aussi difficiles à endurer qu'indispensables pour construire la suite, ça nous jette à la gueule les vrais risques du métier. Un métier qui demeure malgré tout fabuleux, le plus beau, car c'est celui qui nous plaît, que l'on a choisi. 

Je vous livre ci-après l'hommage que j'ai eu l'honneur de rédiger au nom de tous les guides de Méribel, pour Bruno. C'est avec une grande émotion que j'ai lu ces quelques lignes devant sa famille et ses amis, flanqué de mon cher Hervé qui était à mes côtés pour, lui, déclamer un poème. Je pose ma modeste prose là, comme un dernier bouquet pour souhaiter bon voyage à nos deux amis disparus. So long...

Hommage à Bruno Putelli - Cérémonie du 1er avril 2021

Bruno, c'est au nom de tous tes collègues et amis du BDG de Méribel que je prends la parole ce matin, pour te dire adieu.

Un Bureau où cohabitent jeunes et vieux guides, personnages discrets et individus volubiles voire hauts en couleurs. Tout le monde ici t'a bien connu, inutile de de préciser dans quelles catégories tu te classais...

Débarquer au Bureau le matin pour le café et voir ta ganache bronzée coiffée d'une casquette à l'envers et flanquée d'improbables lunettes orange fluo était le signe que la journée allait commencer par une bonne marrade.

Cela mettait immédiatement un sourire sur nos tronches burinées, ainsi que de la chaleur dans nos cœurs. Les vannes surannées et les jeux de mots qui ne faisaient rire que nous pouvaient commencer à pleuvoir...

Chaque guide de la vallée a forcément une anecdote croustillante à ton sujet. D'ailleurs, si on se pose quelques instants et que l'on pense à toi, on aura rapidement un petit rictus au coin des lèvres car une connerie bien sentie « made in Bruno » sera remontée à la surface de notre mémoire.

C'est un signe qui ne trompe pas : les gens joyeux rayonnent.

Sérieux et appliqué sur le terrain, passé de secouriste oblige, tu laissais parler ton côté artiste à la première occasion lorsque tu étais à nos côtés. Fort d'un doctorat déconnade option sketches, obtenu avec les félicitations du jury, tes innombrables facéties ont bâti ta légende et mis nos zygomatiques à rude épreuve.

On peut citer en vrac tes talents de skiman, laissant assez de fart au sol pour qu'on te suive à la trace dans tout Méribel ;

De déménageur patenté, trimballant souvent avec toi l'équivalent d'un petit magasin de sport et l'étalant généreusement façon puzzle;

De candidat maladroit à Top Chef, renversant de l'huile de friture sur la belle terrasse en bois de l'ami Jules lors de notre AG de fin d'année dernière... et mille autres pitreries que ton âme de saltimbanque a pu nous offrir.

Tu distribuais du plaisir au gré de cette ambiance potache et bon enfant que tu savais distiller par ta seule présence.

Et puis un certain dimanche soir, par une dernière pirouette de funambule, tu décides de skier de belles lignes Helvètes avec des amis plutôt que de travailler une journée de plus dans ce qui était devenu ton fief.

Le plaisir, l'amitié, la passion, avaient encore une fois guidé tes choix de vieux punk des cimes qui vit la vie à fond.

Quelle belle capacité que celle de garder à l'esprit que le plaisir d'être en montagne est aussi important que le fait qu'elle nous fasse vivre. Un bel équilibre que tu maîtrisais.

L'indéfectible amitié qui te liait à notre pétillante Julie a uni vos destinées pour toujours.

Tu auras fini par nous faire pleurer autant que tu nous auras fait rire.

Les moments de bonheur que l'on a partagés avec toi sont désormais éternels. On ne se doutait pas qu'il fallait tant en profiter.

Nous te disons adieu un 1er avril, ultime clin d'oeil du destin. Non mais Bruno, c'est tout ce que tu as trouvé comme blague cette année ?

Le Paradis des mecs tendres et drôles accueille aujourd'hui un éminent nouveau membre.

Adieu l'ami, et merci.